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Avr 07

Bâillonner la liberté d’expression

Bâillonner la liberté d’expression

La liberté d’expression est un droit prévu dans les Chartes au Canada. Alors pourquoi des auteurs n’ont-ils pas le droit de dénoncer l’agissement de multinationales canadiennes qui contribuent à l’exploitation de populations déjà démunies un peu partout sur le globe ? Fiction ? Malheureusement, pas du tout. Il faut savoir que dans le secteur minier, pas moins du trois quarts des compagnies dans le monde sont enregistrées au Canada. Pourquoi ? Parce que le Canada est l’un des pays ayant la législation la plus laxiste dans ce domaine, les compagnies n’ayant pas à respecter les lois canadiennes lorsqu’elles exploitent des installations à l’étranger. Comme vous le devinez, cela laisse place aux abus, autant à l’égard des droits humains qu’à l’égard de l’environnement.

C’est dans ce contexte que le 28 avril 2008, Barrick Gold, un géant de l’industrie minière canadienne, décide de poursuivre en diffamation une toute petite maison d’édition nommée Écosociété, organisme à but non lucratif. Le motif : la publication d’un livre (Noir Canada, pillage, corruption et criminalité en Afrique) qui dénonce les violations des droit humains commises par le premier producteur d’or au monde en Afrique. La poursuite, au montant de 6 millions de dollars, repose sur l’allégation que tout ce qui se trouve dans ce livre est faux.

Cette action en justice représente ce que l’on nomme une poursuite-bâillon, qui se distingue des poursuites civiles habituelles car elle a pour but non pas de gagner un procès, mais de réduire au silence un organisme qui n’a pas assez de moyens pour une poursuite judiciaire de longue haleine. Suite à la poursuite contre Écosociété, des voix se sont fait entendre au Québec pour dénoncer cette injustice flagrante et la Loi visant à empêcher les poursuites-bâillons fut adoptée le 3 juin 2009. Celle-ci inverse le fardeau de preuve pour le poursuivant (une grande entreprise par exemple) en l’obligeant à démontrer au juge que son action est fondée et légitime et qu’elle ne vise pas à museler son adversaire.

Or, Barrick Gold profite maintenant du fait que les autres provinces canadiennes ne se sont toujours pas dotées d’une législation semblable à celle du Québec pour récidiver.  En effet, le 17 février dernier, en Colombie-Britannique, les deux éditeurs, sept auteurs et même les deux traducteurs d’un manuscrit qui n’est pas encore définitivement terminé ont reçu une lettre de mise en demeure «préventive» de la part de la compagnie. Ces mises en demeure mettent en garde contre la publication d’un livre que Barrick Gold pourrait juger diffamatoire.  L’éditeur Talonbooks a donc  été obligé d’annuler la publication du livre qui aurait été intitulé Imperial Canada Inc.: Legal Haven of Choice for the World’s Mining Industries. C’est donc des centaines, des milliers d’heures de travail que l’on doit mettre à la poubelle à cause de l’intimidation d’une grande compagnie !

La Ligue des droits et libertés – Section de Québec s’indigne de cette instrumentalisation du droit afin de censurer des citoyens qui voulaient tenter de démontrer au grand public à tous que « le Canada s’est constitué politiquement en véritable «paradis judiciaire» pour l’industrie extractive négligeant activement de rendre ses sociétés imputables[1]. » C’est ça, la justice des plus riches.

Félix Brassard-Gélinas

Stagiaire en droit à la Ligue des droits et libertés – Section de Québec


[1] Collectif d’auteurs,  Imperial Canada Inc. – La censure d’un ouvrage jamais paru, Le Devoir, édition du 25 mars 2010, http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/285649/imperial-canada-inc-la-censure-d-un-ouvrage-jamais-paru#interesse