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Juin 01

La LDL-Qc demande l’abrogation de l’article 19.2

Le 1er juin 2022

La Ligue des droits et libertés, section de Québec (LDL-Qc) demande à la Ville de Québec d’abroger l’article 19.2 du Règlement sur la paix et le bon ordre (Règlement 1091) ayant été invalidé par le plus haut tribunal du Québec le 22 octobre 2019.  L’article 19.2 est liberticide. À l’unanimité, les juges de la Cour d’appel du Québec ont reconnu que cet article porte atteinte à la liberté d’expression et au droit de manifester et la Ville de Québec a acquiescé au jugement en décidant de ne pas porter l’affaire devant la Cour suprême du Canada.  Or, la Ville continue de créer de la confusion autour du droit de manifester en maintenant l’article invalidé et inopérant dans le Règlement sur la paix et le bon ordre.  Cette situation est intolérable sur le plan de la primauté du droit.  Sachant pertinemment que la disposition ne peut plus être appliquée par les policiers, la Ville garde en place l’article 19.2 pour bâillonner la vie démocratique.

Le droit de manifester : 10 ans de lutte et au-delà

Le 20 juin 2012, dans la foulée des manifestations étudiantes du printemps érable, la Ville de Québec instaure l’article 19.2 à son Règlement sur la paix et le bon ordre. L’objectif est clair : donner au Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) un outil lui permettant de contrôler les manifestations qui se multiplient. L’article 19.2, identifie des critères qui permettent à la police de juger une manifestation illégale. L’usage du règlement donne lieu à de nombreuses arrestations.

Dès 2013, l’article est remis en cause par la Cour d’appel, dans le dossier A. Bérubé contre la Ville de Québec, qui condamne la Ville et son service de police à dédommager le manifestant en raison de son arrestation abusive en mai 2012. Au cours des années suivantes, les groupes citoyens et communautaires continuent de dénoncer l’article 19.2 et son caractère liberticide.

Le 20 juin 2022, cela fera 10 ans que l’article figure au Règlement de la Ville de Québec. Une décennie de mobilisation citoyenne n’aura pas suffi pour que la Ville abroge 19.2. Le 10e anniversaire de 19.2 marque ainsi une décennie de sourde oreille à la Ville de Québec, malgré les nombreux signaux démontrant le non-respect des droits et libertés de ses citoyen-ne-s

Une atteinte à la liberté d’expression : le jugement des tribunaux

Tant la cour municipale du Québec que la Cour supérieure ont respectivement reconnu, en 2016 et 2017, que l’article 19.2 du Règlement 1091 porte atteinte au droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique protégés par la Charte canadienne des droits et libertés.  Cela étant, et bien que le juge Jacques Ouellette de la cour municipale du Québec ait déclaré invalide le 3e paragraphe de l’article 19.2, al.2, en raison de sa portée disproportionnée, les 1er et 2e paragraphes du 2e alinéa ont été déclarés valides par ces instances.  En effet, selon les juges, ces paragraphes portaient atteinte aux droits protégés de manière raisonnable et justifiée. Ce n’est finalement qu’en 2019 que le plus haut tribunal du Québec a déclaré l’article 19.2. al.1 et 2, par. 1 et 2 invalides et inopérants.  Sur le plan juridique, le jugement de la Cour d’appel a eu pour effet de retirer du droit en vigueur l’obligation de communiquer au service de police un préavis de la date, de l’heure, du lieu et de l’itinéraire d’une manifestation et l’obligation de respecter les paramètres de cet avis.  La Ville de Québec a acquiescé au jugement et à ses effets en faisant le choix de ne pas porter l’affaire en appel à la Cour suprême du Canada.  Autrement dit, la Ville est bien consciente que depuis la décision de la Cour d’appel, le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) ne peut plus déclarer une manifestation illégale en raison de la non-divulgation de l’heure, du lieu et de son itinéraire ou en raison du non-respect de ces paramètres. La Ville sait tout autant que le SPVQ ne peut non plus, depuis le jugement de la cour municipale du Québec, déclarer une manifestation illégale en raison d’actes isolés de violence ou de vandalisme, ce qu’elle n’a d’ailleurs jamais contesté devant les instances judiciaires.

Une confusion entretenue

En dépit de ce qui précède, en date d’aujourd’hui, l’article 19.2 du Règlement 1091 n’a pas été retiré du texte réglementaire et figure toujours sur le site Internet de la Ville de Québec. L’information disponible en ligne porte à croire que le SPVQ pourrait décider de mettre fin à une manifestation dont l’itinéraire n’aurait pas été divulgué, sans quoi les manifestant-e-s pourraient contrevenir au règlement et se voir remettre des constats d’infraction allant de 150 $ à 1 000 $.  La Ville ne fait aucun effort pour clarifier la situation et laisse perdurer ce qui est perçu comme une zone grise chez plusieurs groupes et des citoyen-ne-s de Québec. Ce faisant, la Ville fait complètement fi du principe de primauté du droit.

Ce maintien d’une disposition, par ailleurs invalide et inopérante, dans un texte réglementaire en vigueur, diffuse une fausse information au grand public et entrave la vie démocratique. En effet, cette situation entraîne de la confusion et des effets paralysants sur les citoyen-ne-s et les groupes qui veulent organiser des manifestations.  Croyant à tort que l’article 19.2 est toujours en vigueur et appliqué par le SPVQ, ces derniers sont contraints dans l’exercice de leurs droits et libertés alors que, paradoxalement, ce sont ces contraintes liberticides que la Cour d’appel a éliminées dans son jugement de 2019. Puisque la Ville continue de diffuser des informations non valables en toute connaissance de cause, nous sommes portés à croire que la situation est volontairement entretenue, sans quoi ces mauvaises informations auraient déjà été rectifiées.

La nouvelle administration esquive la question

La LDL-Qc a interpellé la Ville de Québec à plusieurs reprises sur la désinformation présente sur son site Internet et sur les impacts de celle-ci. Malheureusement, la Ville a esquivé successivement nos tentatives pour clarifier sa position sur le droit de manifester à Québec.

Le 28 avril, la LDL-Qc a transmis au maire Bruno Marchand une lettre demandant que soit abrogé incessamment l’article 19.2 du Règlement sur la paix et le bon ordre de la Ville de Québec. Cette lettre est restée sans réponse.

Lors du conseil municipal du 2 mai, Maxim Fortin, le coordonnateur de la LDL-Qc, a questionné le maire à propos de l’article 19.2. La question posée directement à Bruno Marchand visait à savoir quand serait abrogé l’article 19.2. Monsieur Marchand a redirigé la question vers la vice-présidente du comité exécutif, madame Marie-Josée Asselin. La réponse de cette dernière fut on ne peut plus fuyante, tout en révélant une vision fort contestable de la situation :

« La révision de ce règlement est en cours, dans son ensemble, mais l’objectif de travailler autour des manifestations et d’assurer la sécurité et la quiétude. La sécurité des manifestants, mais aussi la sécurité des citoyens. Donc, lors des dernières manifestations, il y a eu un excellent travail qui a été fait en collaboration avec les manifestants pour assurer que le tout se déroule en bon ordre. L’objectif, ce n’est pas d’interdire les manifestations. On l’a dit lors des deux dernières manifestions d’envergure qui ont eu lieu à Québec : on ne voulait pas d’une ville où on interdisait aux gens de se manifester et d’émettre leur opinion, mais on souhaite que ça se fasse de manière respectueuse pour les citoyens et que tout le monde puisse le faire en sécurité. C’est pour ça qu’on encadre le déroulement des manifestations, mais toujours en collaboration avec les gens qui les organisent. »

Cette réponse est étonnante. D’abord, pourquoi ne pas répondre directement à la question? La décision de la Cour d’appel étant claire, on devrait s’attendre à une réponse claire de la Ville : à savoir que le jugement sera traduit en actes dans le respect du droit québécois et canadien. Ensuite, pourquoi réviser un règlement qui n’a pas lieu d’être? Pourquoi s’attacher obstinément à l’article 19.2 qui est invalide, inopérant et inapplicable?  Et pourquoi détourner la question vers celle de la « collaboration » avec le SPVQ? Faut-il rappeler que c’est aussi le « travail » du SPVQ, salué par Madame Asselin, qui est à l’origine de la leçon de droit livrée à la Ville par le plus haut tribunal du Québec?

La Ville affirme vouloir réviser le Règlement « dans son ensemble » sans toutefois exprimer clairement son intention de retirer l’article 19.2.  Pourquoi la Ville tente-t-elle de conserver, d’une manière ou d’une autre, un tel outil de répression? Cette obstination laisse transparaitre un attachement idéologique pour certains principes qui sous-tendent ledit article invalidé.

Le 4 mai 2022, la LDL-Qc a demandé à rencontrer madame Asselin. La volonté de la LDL-Qc était d’engager un dialogue avec la Ville, afin de répondre aux nouvelles problématiques soulevées. C’est seulement le 18 mai, suivant la parution d’un article de Radio-Canada portant sur la confusion entourant l’article 19.2 du Règlement 1091 à Québec, que l’administration a daigné nous répondre. Dans sa réponse, la Ville a rejeté la proposition d’une rencontre en attestant de son travail en cours pour « déterminer la meilleure méthode pour assurer la sécurité de ses citoyens lors des manifestations », ce qui réitère la volonté de proposer une nouvelle mouture à 19.2. Ainsi, la position de la Ville devient de plus en plus claire. Dans l’ordre de ses priorités, les paramètres qui servent à encadrer, voire à faire contrôler, les manifestations par la police priment sur la valeur accordée au droit à la liberté d’expression et à la réunion pacifique.

La complaisance à l’égard d’une logique de contrôle

La Ville de Québec se cache derrière son petit doigt. Elle camoufle son inaction derrière un soi-disant souci pour la sécurité publique. Néanmoins, le terrain sur lequel la Ville tente de détourner le débat n’a rien de rassurant. L’administration Marchand tente de justifier sa position en alludant à une soi-disant opposition entre sécurité et manifestation. Dans sa rhétorique, il y aurait de « bonnes » et de « mauvaises » manifestations : les premières étant celles organisées en collaboration avec la police et se conformant à des paramètres arbitraires; les secondes menaçant la sécurité et dépassant les limites reconnues par le droit.

Cette opposition idéologique est contestable dans la mesure où elle opère une distinction sur des critères politiques, voire justifie les termes de la répression. Une telle vision se méprend sur la nature du droit de manifester. En effet, ce droit est garanti aux citoyen-ne-s sans égard au contenu des revendications et au-delà des appétences des autorités.

Par ailleurs, notons qu’il est particulièrement inquiétant que la Ville axe sa définition d’une « bonne manifestation », qu’elle pourrait tolérer, sur la « collaboration » avec le SPVQ.  Cette dernière considère-t-elle que les manifestant-e-s devraient montrer patte blanche à la police pour que leurs droits soient respectés? Cette idée témoigne d’une complaisance à l’égard de l’intrusion de la police dans l’organisation des manifestations. Dans toute société démocratique, l’ingérence de la police dans l’organisation politique serait une atteinte grave aux libertés civiles.

L’opposition entre « bonne et mauvaise manifestation » n’est pas tout à fait originale. C’est la même vision qui accompagnait l’élaboration de l’article 19.2 en 2012. C’est une vision qui appartient au registre policier. L’intervention qui est privilégiée par cette logique est celle du contrôle policier. Selon la rhétorique du contrôle, le travail policier permettrait de maintenir le comportement des citoyen-ne-s dans l’ordre de la moralité. Il va sans dire qu’une telle logique est inquiétante pour la vie démocratique. Il est important de dénoncer les tentatives du contrôle autoritaire de la liberté d’expression.

Dans cet ordre d’idée, il faut problématiser davantage l’inaction de la Ville au prisme des volontés du SPVQ. L’article 19.2 du Règlement 1091 était, historiquement, un outil de répression qui permettait d’étendre la capacité d’action du SPVQ au-delà des droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. D’ailleurs, c’est sur cette base que les tribunaux ont reconnu que cette disposition portait atteinte aux droits à la liberté d’expression et de réunion.  Pourtant, lors de sa contestation devant la cour municipale, le SPVQ a tenté de défendre l’applicabilité dudit article qui déliait son travail des garanties juridiques normales. Ainsi, le SPVQ a démontré son intérêt pour les règlements facilitant la répression.

C’est dans ce contexte que s’inscrit potentiellement le refus de l’administration Marchand de clore le débat entourant l’article 19.2. En effet, la Ville de Québec est actuellement engagée dans un bras de fer avec la Fraternité des policiers. Il faut ainsi se demander si la Ville instrumentalise la question du maintien de l’article 19.2 sous diverses formes, comme un levier dans ses négociations. La complaisance de la Ville, pour l’utilisation d’un outil regretté au SPVQ, est-elle un gage de bonne foi de la part de la nouvelle administration qui doit négocier les termes de sa relation avec ses employés. Dans tous les cas, aucun argument valable ne permet de défendre l’obstination de la Ville à garder en vie le souvenir de l’article 19.2.

L’inaction de la Ville contre la vie démocratique

Bien que la décision des tribunaux date déjà de plusieurs années, la Ville de Québec refuse d’actualiser ses règlements afin que les citoyen-ne-s soient correctement informé-e-s de leurs droits. Nous l’avons déjà mentionné, l’inaction de la Ville dissuade, de facto, le plein exercice de leurs droits par les citoyen-ne-s. Cette tendance est reconnue par plusieurs organismes à Québec qui dénoncent la situation. Pour corriger l’effet bâillon du statu quo, se conformer aux jugements de la cour municipale du Québec (pour l’article 19.2, al. 2, par. 3)  et de la Cour d’appel du Québec et respecter la primauté du droit, le conseil municipal doit impérativement abroger l’article 19.2 du Règlement 1091.

Rappelons que le droit de manifester est une composante de la liberté d’expression protégée par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et la Charte canadienne des droits et libertés. C’est pourquoi l’abrogation de cette disposition est indispensable. La solution proposée par la LDL-Qc est simple. Toutefois, les questions qui se posent désormais dessinent un horizon complexe pour le droit de manifester. La Ville doit se soumettre à la primauté du droit, respecter les jugements des tribunaux et s’abstenir de porter atteinte aux droits fondamentaux de ses citoyen-ne-s de manière déraisonnable et injustifiée. Elle doit donc abroger dès maintenant l’article 19.2 et le retirer du Règlement 1091.